vendredi 8 avril 2016

Miroirs de Rina Lasnier (1960)

Miroirs publié en 1960, est un recueil de récits et de contes où la poète s'arrête à des épisodes de son enfance.

Lsaule raconte les explorations de la petite Messadée dans le saule de la ferme de son grand-père. 
(Extraits)
Il occupait seul un vaste espace entre les bâtiments et la haute maison blanche de la ferme. Son tronc divisé à ras de terre s'élevait en deux fontaines d'ombre. Cette ombre, il la rattachait à soi comme une jupe maternelle où attirer et appuyer l'enfant…

Le saule formait le centre de la ferme, nœud vert de la réconciliation entre le corps et l'âme, entre l'effort et le rêve…

...Messadée voyant le saule délaissé désira son silence...Elle décida de voyager en hauteur puisque le soleil battait de feu toutes les routes rondes. Elle grimpa à la première branche forte et aussitôt une transformation s'opéra en elle. Elle n'était plus une fillette de sept ans collée à sa timidité comme une feuille à la pluie; elle se dépouillait de la contrainte des adultes et regardait les choses comme elle les trouvait, sans personne pour les nommer avant elle...

Le saule, c'était son vaisseau. Du premier pont elle voyait tout ce qui remuait dans
la cour…

Au deuxième pont, Messadée atteignait le touffu de l'arbre et ne distinguait rien, rien que le saule lui-même. Elle surprenait la chenille à houppes ondulantes ou la libellule faussement angélique…

Tout là-haut, au dernier pont de la dernière grosse branche, (elle) s'agrippe, connaît un instant de vertige et presque d'envol dès que son regard quitte le saule pour le ciel…

Le Saule dans Miroirs, 1960


Sud décrit le territoire de l'enfance entre le moulin à farine au bord du Richelieu et la gare entre ville et campagne.

(Extraits)
Messadée n'avait jamais cru que la terre fût ronde. Cela ne se pouvait pas ; d'abord parce que son imagination ne réussissait à relier les continents les uns aux autres par le pont bleu des océans; ensuite, Messadée se figurait la terre vaguement étendue et aplatie comme sur les cartes géographiques et cela convenait mieux à son goût de la démesure, de l'espace. D'instinct elle fuyait tout ce qui limite ou emprisonne, tels le cercle géométrique, la baie d'un lac, la base d'une montagne infranchissable.
Comment donc la terre pouvait-elle être ronde puisque tout le monde s'accordait à dire qu'on ne connaissait que deux pôles, le pôle nord en haut et le pôle sud en bas? Il existait donc une mystérieuse verticale, un chemin allant du nord au sud pour les voyages et les évasions?
(…)
Messadée s'évaderait un jour...En attendant ...(elle) avait fixé ses deux pôles aux deux extrémités de la ville ; elle voyageait de l'un à l'autre selon le temps et les permissions.
Le pôle nord, où on ne l'autorisait pas à se rendre seule à cause de la rivière, c'était le moulin à farine jeté entre deux bras d'eau; entre la rivière sauteuse et le canal huilé de calme vert (…)
Au pôle nord du moulin blanc et du meunier poudré de nuage, Messadée préférait le pôle sud marqué par la gare rouge assise à l'orée des champs comme une fraise à deux faces ; celle qui grimaçait vers la ville, celle qui souriait vers la campagne. Messadée allait souvent s'asseoir seule sur un banc soleilleux pour apaiser sa soif d'espace ou pour l'augmenter. Ce banc tiède c'était le port où commence le large...
Sud dans Miroirs, 1960


L'école ouverte décrit une école de campagne dans les Laurentides.

(Extraits)

Celui qui avait posé l’école des Quatre-Rangs sur l’épaule gauche de la colline devait être quelque colon puissant, depuis longtemps nourri de liberté et d’espace.
C’était la dernière école du dernier canton des Laurentides, et quand après avoir suivi le tortillon de la route on apercevait ce toit bleu et élevé à travers les ramures à claire-voie, on s’interrogeait sur cette couleur et sur la hauteur du faîte. L’école une fois atteinte, on constatait d’abord, qu’elle biaisait sur le chemin comme quelqu’un qui vous regarde nonchalemment par-dessus l’épaule. Ensuite on découvrait le lac en contre-bas du plateau; c’est dans cette cuve bleue qu’avait dû tremper la maisonnette et cet azur répété du lac et de l’école procurait répit aux verts amoncelés de la pinède. Quant au corps principal de la maison, il devait sa hauteur à quelque besoin de sécurité de celle qui l’habitait; car il est coutume que la maîtresse vive au même plan que son école, dans une ou deux pièces.

Au premier comme au second étage, on devait voir tourner dans les fenêtres le carrousel machinal des saisons et des jours.
(...)
Par la porte baîlllante, on peut apercevoir, derrière la tribune de la maîtresse, l’escalier conduisant au colombier ; la propreté, la coquetterie de la catalogne couvrant les degrés , laisse imaginer que là-haut tout est à l’avenant. Sous l’escalier, la chaudière d’eau fraîche et les gobelets en file indienne. En lieu de patère, des cornes de boeuf d’où pendent des manteaux couleur de feuilles mortes. À travers le chuchotis des écoliers, le tic-tac de l’horloge, monotone, perdu comme la vibration des insectes dans l’herbe de l’été.

Onze écoliers ; huit garçons, trois fillettes que les garçons font “endever” aux jours de pluie ! Mais entre eux tous, point ne se rompt cette entente spontanée de jeunes pousses du même terreau. Ils n’ont pas été versés en vrac, comme des cailloux, dans une grande boîte; mais l’école les a doucement drainés, un à un, ou deux à deux, au rythme des premières communions et des travaux de la ferme.

L’enfant des collines et des boisés sait beaucoup de choses, mais ce ne sont pas paroles imprimées, retailles étroites de connaissances disparates dont on fait une courtepointe pour couvrir beaucoup d’ignorance. Ce qu’il sait, l’écolier des Quatre-Rangs, il ne te le jette pas à la face comme paille émondée de son froment, mais il en fait poids d’homme pour te regarder et te jauger.
(...)
L’adolescent des villes, tu lui arraches son outil et tu lui mets un fusil à la place, et il apprend la guerre, sans savoir ce qu’est la paix ou la patrie ; mais celui des Quatre-Rangs qui va, aussi lent sous la pèlerine de la pluie sous la suée de juillet, lui te dira la paix sans avoir appris la guerre.

Ici, l’école s’adapte à l’écolier, et l’écolier ne sent plus l’école comme une écorce morte qui ne laisse passer ni la création ni le Créateur. Ici, le semeur sème, l’épouvantail épouvante et le soleil oriente.

Celle-là qui le jour ouvre les fenêtres pour nommer les choses, et les intelligences pour élever les choses, tu la vois, le soir, remonter doucement sa lampe et préparer pour tous le levain de la sagesse.
L'école ouverte dans Miroirs, 1960

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