vendredi 8 avril 2016

Madones canadiennes de Rina Lasnier, 1944

Depuis 1939, Victor Barbeau, écrivain et professeur, conseille la jeune débutante. Grâce à son appui,  Rina Lasnier publie sa première oeuvre, la pièce Féerie indienne. Devenu son mentor littéraire, Victor Barbeau l'introduit dans le milieu littéraire de Montréal, principalement à l'Académie Canadienne-française, association d'écrivains dont font partie Alain Grandbois, le chanoine Lionel  Groulx, François Hertel, Philippe Panneton (Ringuet), Marius Barbeau.

En 1943, ce dernier demande à la jeune écrivaine d'écrire quelques textes pour accompagner une recherche sur la broderie traditionnelle. Rina Lasnier, qui ne sait pas coudre un bouton, ne peut accepter cette collaboration.
L'ethnologue lui propose quelque temps plus tard d'écrire quelques textes pour accompagner sa recherche sur les Madones au Québec. Rina Lasnier, enthousiaste, accepte. Il en résulte Madones canadiennes, en 1944, dans lequel on retrouve les photos de 53 madones québécoises,  chacune est accompagnée d'une note de Marius Barbeau et d'un poème de Rina Lasnier.

Ce qu'il y a d'intéressant dans ce recueil où les poèmes se rapprochent de la prière, c'est la voix de la jeune poète qui perce sous une forme assez convenue. En filigrane, elle nous parle d'elle, de son enfance, de sa grand-mère, de ses amours...

En voici quelques extraits :

Mère de nos mères

Vierge et enfant, 1755
poème dédié à Délia Galipeau, grand-mère maternelle de Rina Lasnier

Mère de nos mères terriennes,
Mère de nos aïeules dont le temps
filait un à un les cheveux blancs
tandis qu'elles filaient la laine !

vieilles aux longues jupes démodées
où descendent deux mains usées,
comme des ruisseaux épuisés
de courir et de désaltérer ;

leurs genoux gardent pendant un siècle
                                   le besoin des agenouillements,
                                   sur leurs lèvres la prière descend
                                  comme la neige sur un arbre sec ;
                                   (...)
                                   leurs regards, pareils à l'eau pure
                                   sur la bouche pleine d'aigreur,
                                   sont des aromates sur les blessures
                                   et des auréoles sur les bonheurs (...)


Notre-Dame de l'enfance

Parce que mon enfance leur était une source scellée - mon enfance fermée sur une abîme de lumière,

Parce que j'avais vu la Nuit venir ramasser les ombres - pour en fabriquer des songes,

Parce que je pouvais d'un mot construire le temple de ma joie - le temple où s'émerveillait mon âme pèlerine,

Parce que mes silences élargissaient les quatre horizons - pour créer des espaces où fleurissaient les visions (...)

Seule avec la beauté, j'ai traversé la pluie, la neige - le vent où les ailes tournent comme des feuilles.

J'ai bu le feu de la soif - j'ai dévoré la détresse de la faim.

Marie, où est ce petit âne gris - qui comme moi, portait sur ses épaules

La plus haute histoire du monde - et l'enfance exilée du ciel le plus haut ?

La perte de Jésus dans le temple

La mer de mon amour
a coulé par mille ruisseaux.

J'ai perdu l'amour
et ne sais qui a bu ses eaux.

La forêt de mon amour
a croulé par mille feuilles.
Ah! cette chute d'amour
c'est l'hiver qui la cueille ?

Le champ de mon amour
de mille soleils s'est flétri.
Ils ont brûlé mon amour
sans laisser un seul épi (...)

Marie, redonnez-moi, accrus,
les mille ruisseaux perdus,
les mille feuilles détachées,
les mille épis dénoués.
(...)
Je cherche avec Vous l'amour
qu'on trouve dans la douleur
et l'extase du retour
oubliant de sécher ses pleurs !

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